CHASSE ET CUEILLETTE (anthropologie)

CHASSE ET CUEILLETTE (anthropologie)
CHASSE ET CUEILLETTE (anthropologie)

Un peuple qui ne pratique ni agriculture ni élevage assure son alimentation en exploitant exclusivement des ressources naturelles spontanées: chasse, cueillette, pêche, ramassage de mollusques, collecte du miel des abeilles sauvages, etc. L’origine du mode de vie fondé sur la chasse et la cueillette se confond avec les débuts de l’humanité. C’est seulement il y a une dizaine de millénaires qu’apparurent les premières sociétés agricoles et pastorales. Depuis cette époque, l’extension géographique des peuples chasseurs-cueilleurs n’a cessé de se réduire. Vers 1500 après J.-C., de larges régions du globe restaient peuplées de chasseurs-cueilleurs: l’Afrique équatoriale (Pygmées), l’Afrique du Sud (Bochimans), la totalité de l’Australie (aborigènes australiens), le nord du Japon (Aïnous) et l’Est sibérien, le nord et l’ouest de l’Amérique du Nord (Esquimaux, Indiens du Canada, de la Californie...), le sud de l’Amérique du Sud. L’expansion coloniale de l’Occident devait porter un coup fatal à la plupart des chasseurs-cueilleurs: peuplement de colons dans des régions considérées comme vides, extermination pure et simple de peuples considérés comme sauvages (Tasmaniens, Bochimans du Cap), introduction du commerce des fourrures (Canada) ou imposition d’un tribut en fourrures (Sibérie), acculturation...

Les peuples chasseurs-cueilleurs qui survivent dans les temps historiques apparaissent ainsi comme les héritiers d’une tradition qui remonte aux débuts de la préhistoire, dès le Paléolithique : celle des peuples de l’âge de la pierre lorsque le fer n’est pas introduit par les sociétés voisines. C’est dire toute l’importance de l’étude des sociétés des chasseurs-cueilleurs pour la connaissance de l’histoire de l’humanité. Cela a bien été perçu par les ethnologues évolutionnistes du XIXe siècle. Dans la première moitié du XXe siècle, le thème des chasseurs-cueilleurs a subi une éclipse, mais il est redevenu en vogue avec les travaux de l’école américaine dite de «l’écologie culturelle».

Deux remarques viendront contrebalancer l’idée que ces sociétés sont «primitives» parce qu’elles continuent le mode de vie des premiers hommes. D’abord le fait que l’alimentation est assurée par un travail journalier de quatre ou cinq heures. Les chasseurs-cueilleurs ne s’épuisent donc pas dans une quête sans fin de la nourriture, ils disposent au contraire d’un temps de loisir que beaucoup de sociétés industrielles peuvent leur envier, et ils ont élaboré des rituels et des organisations sociales extrêmement complexes. On a pu parler à leur propos de «première société d’abondance». D’autre part, l’adaptation de ce mode de vie apparaît comme particulièrement réussie: il est notoire que ce soit le seul, à la différence de l’agriculture ou de l’élevage, qui se rencontre dans tous les milieux, forêt tropicale ou boréale, déserts arides ou toundra arctique.

Les activités de subsistance

La chasse est souvent spectaculaire, surtout celle du gros gibier (comme l’éléphant ou la baleine): elle met en jeu un outillage et éventuellement un rituel élaborés. Mais, dans bien des cas, c’est la cueillette des produits végétaux, activité monotone et répétitive, qui assure l’essentiel de l’alimentation: elle est plus importante à la fois par le volume de la nourriture qu’elle fournit et par son caractère plus assuré, prévisible et régulier. La chasse ne joue un rôle prépondérant que dans les régions arctiques pauvres en végétation, et elle va décroissant en importance au fur et à mesure qu’on se rapproche des régions tropicales, la cueillette fournissant alors près de 70 p. 100 de l’alimentation. Les variations de l’importance de la pêche en fonction de la latitude sont moins nettes.

Les méthodes de chasse sont variées. Le gibier peut être forcé à la course: chasse individuelle ou collective lorsque plusieurs chasseurs se relaient. Dans les pays froids, ce type de chasse donne lieu à certains aménagements du pied: raquette de neige (au Canada) ou ski (en Sibérie), qui facilite la marche du chasseur là où l’animal est empêtré dans la neige. La domestication animale transforme complètement la poursuite en fournissant un moyen de transport pour le chasseur: traîneau à chiens sur la glace, animal monté comme le renne de Sibérie ou le cheval dans les plaines d’Amérique du Nord ou dans les Pampas. La chasse avec rabatteurs prend deux formes: une aire est encerclée par un large groupe de chasseurs ou bien des rabatteurs mobiles font fuir le gibier en direction d’un endroit où attendent ceux qui ont pour rôle de le tuer. Cet endroit, qui entrave la fuite des animaux, peut être un cours d’eau, un marais, de la neige molle, une falaise, un précipice ou encore un lieu artificiellement aménagé à cette fin, fosse, enclos à gibier, filet, etc. Le feu est beaucoup employé pour le rabattage, mais les rabatteurs peuvent aussi faire du bruit en criant, en tapant sur le sol, en imitant le cri d’un animal prédateur ou en utilisant des chiens. Pour guider le gibier, les chasseurs-cueilleurs font souvent des haies immenses qui s’étendent sur des kilomètres et qui ont la forme soit d’un V débouchant sur un précipice ou un enclos, soit d’un zigzag dans les angles duquel sont postés des chasseurs.

À côté de ces grandes chasses collectives, il en existe d’autres qui sont plus individuelles. Chasse d’approche, où l’on progresse sous couvert en restant caché. Lorsque la couverture végétale fait défaut, sur la banquise ou dans le désert, ce type de chasse est encore praticable: l’Esquimau rampe vers sa proie et se dissimule derrière un écran blanc qui se confond avec le paysage; l’Australien progresse courbé pour que sa silhouette ne se découpe pas sur le ciel et il tient quelques branches pour être confondu avec un arbuste. Ce type de chasse peut donner lieu à un déguisement du chasseur, simple imitation des mouvements de l’animal ou port de véritables masques de chasse. Chasse au leurre: imitation du cri de l’animal par la voix du chasseur ou par quelque objet spécialement destiné à cet usage (appeau); imitation de l’animal par une image sculptée ou utilisation d’un animal domestique (appelant); présentation de nourriture (appât). Chasse d’attente: le long d’une piste repérée, au bord d’un point d’eau dans une région aride ou à côté d’un trou de respiration dans la glace pour la chasse hivernale au phoque. Enfin chasse au piège, auquel il convient de rattacher l’empoisonnement des trous d’eau.

La chasse, hormis lorsqu’il s’agit de petits animaux, suppose presque toujours l’emploi d’armes pour la mise à mort du gibier: massues, bâtons de jet, lances projetées à la main ou au propulseur, harpons, arcs et flèches, etc. L’invention et le perfectionnement de ces outils, de même que ceux des pièges et des moyens de transport, ont certainement joué un rôle important dans l’évolution de la chasse; toutefois, il semble que bien souvent ce ne soit pas ces instruments qui aient le rôle décisif dans les différentes méthodes de chasse, mais plutôt, d’une part, la parfaite connaissance des habitudes animales par les chasseurs, d’autre part, le recours à la coopération.

La cueillette des produits végétaux se signale d’emblée par l’absence presque complète de tout outillage spécifique. Pour cueillir des baies, la main suffit; pour déterrer des racines ou des tubercules, le bâton à fouir; pour récolter des graminées sauvages, la main ou un bâton, etc. En revanche, la nécessité de l’outillage technique se fait sentir dès qu’il s’agit de transporter les produits au camp: il faut avoir un récipient – de peau, de bois ou de vannerie. Ensuite, la préparation alimentaire des végétaux est souvent longue et complexe. Les graines doivent être réduites en farine pour être consommées: d’où la nécessité des meules. On doit retirer l’acide tannique des glands, aussi faut-il les écraser dans un mortier en vue de les lessiver. De même, de nombreux tubercules naturellement toxiques doivent subir un traitement avant d’être consommés. Les palmiers sagoutiers doivent être abattus et écorcés avant qu’on ne procède au lessivage de la pulpe du stipe en vue de recueillir la fécule.

Les sociétés de chasseurs-cueilleurs

À quelques exceptions près, les sociétés de chasseurs-cueilleurs présentent un certain nombre de caractéristiques communes qui les distinguent des autres sociétés, agricoles, pastorales ou industrielles.

La première de ces caractéristiques est le nomadisme. Il répond en premier lieu à la nécessité de ne pas épuiser les ressources locales, en particulier celle que constitue le gibier, qui aurait vite fait de déserter les alentours de tout établissement fixe. Les déplacements du groupe sont ponctués par un rythme saisonnier régulier qui tient compte de l’abondance des principales ressources alimentaires accessibles dans les différentes localités aux diverses époques de l’année. Le nomadisme des chasseurs-cueilleurs obéit donc à un ordre et à une certaine rationalité de l’exploitation de l’environnement. L’habitation consiste en de simples huttes de branchages, en des tentes de peaux ou d’écorce, ou brise-vent, plus rarement en des abris sous roche.

En raison du nomadisme, la richesse en biens matériels reste limitée. Un principe d’économie préside à l’allègement maximal de l’équipement, en réduisant le nombre d’outils ou en concentrant sur le même objet de multiples fonctions techniques: ainsi, dans la partie la plus désertique de l’Australie, le propulseur est une arme de jet qui sert également de ciseau à bois, de récipient, de scie pour produire le feu par frottement. Un objet aussi lourd que la meule est abandonné sur place en même temps que le campement: on le retrouvera à cet endroit lors de la prochaine migration. De façon générale, les chasseurs-cueilleurs ne fabriquent pas de poterie.

La seule division sociale du travail en vigueur est celle qui est établie entre les sexes: l’homme chasse et la femme s’occupe de la cueillette des produits végétaux et du ramassage. Les sociétés de chasseurs-cueilleurs sont caractérisées par un profond égalitarisme: pas de classes sociales, ni de stratification, ni d’inégalités marquées en fonction du prestige ou de la richesse. L’obligation du partage alimentaire, en particulier des produits de la chasse, y représente une sorte d’assurance contre la malchance: le groupe réagit solidairement face à une pénurie momentanée. En même temps, la règle du partage fonctionne comme un mécanisme de réduction des inégalités: elle prévient l’accumulation de nourriture ou de biens par les plus doués. Ceux qui sont considérés comme «chefs» ou porte-parole du groupe ne sont tels que dans la mesure où ils se conforment à cet idéal du partage en donnant avec générosité et ils sont souvent plus démunis que les autres. La règle du partage du gibier prend parfois des formes extrêmes; ainsi il arrive que le chasseur n’ait aucun droit sur sa prise, qui sera partagée prioritairement entre les autres membres du groupe: cette coutume affirme la prééminence de l’appropriation communautaire des produits de chacun sans léser personne puisque tous ont des activités semblables.

Dans cette société nomade, nul ne possède de pouvoir de coercition et les conflits se résolvent par la scission du groupe. La force de la coutume et la crainte des sanctions surnaturelles suffisent en général à faire respecter l’ordre. Il existe diverses formes de rachat, de confession ou d’ordalie permettant de réintégrer le coupable au sein de la communauté. Dans les cas les plus graves, meurtre ou inceste, le délinquant est mis à mort par une action concertée de la communauté ou bien trouve refuge dans un groupe étranger.

La société est organisée en petits groupes locaux de vingt-cinq à cinquante personnes, qui forment l’unité économique de base et qui mènent une vie nomade à l’intérieur des territoires familiers qui leur sont traditionnellement reconnus. Chaque groupe entretient avec les autres de multiples relations – relations de parenté, relations matrimoniales, cérémonielles ou mythologiques. La structure sociale de ces groupes ou «bandes» reste très controversée dans la littérature anthropologique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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